2030, ligne de crête pour la vigne…

Entre phénologie bousculée, aléas extrêmes et recomposition des cépages, la viticulture entre dans une décennie décisive. Focus monde et Bordeaux.

Monde : une viticulture sous haute variabilité

À l’échelle globale, la viticulture fait face à une intensification des contrastes : sécheresses et stress hydriques d’un côté, épisodes pluvieux et orages destructeurs de l’autre. Les données les plus récentes de l’ OIV sur 2024 illustrent cette « variabilité accrue », avec des récoltes historiquement basses dans l’UE et des dégâts liés à des conditions extrêmes très hétérogènes selon les régions. Ces signaux annoncent une décennie 2020–2030 de production plus erratique et de risques climatiques plus fréquents.

Sur le plan biologique, la vigne démarre plus tôt, avance sa maturation, et se retrouve plus exposée aux gelées printanières ; les vendanges ont déjà gagné deux à trois semaines en moyenne depuis les années 1980 dans plusieurs bassins européens. Conséquence directe : des vins souvent plus riches en alcool, moins acides, et des profils aromatiques déplacés. Ces tendances, documentées par l’ INRAE et le programme LACCAVE, devraient se poursuivre à l’horizon 2030.

La carte du vin se redessine vers le nord et l’altitude : l’Angleterre, la Scandinavie ou la Pologne gagnent en potentiel, quand Bordeaux, Rioja ou certaines zones méditerranéennes composent avec la chaleur et la raréfaction de l’eau. Les stratégies d’adaptation (irrigation raisonnée, conduite du couvert végétal, changement de matériel végétal) progressent, mais posent la question de la préservation du terroir.

Bordeaux : 2030, l’heure des choix

Phénologie et styles

En Bordelais, l’avancement des stades phénologiques est mesurable : à Saint-Émilion, la date des vendanges a avancé d’environ 15 jours en 26 ans. La maturité sous des températures plus élevées oblige à vendanger plus tôt (souvent la nuit), pour préserver fraîcheur et aromatique. À court terme (d’ici 2030), cela se traduit par un risque d’alcools plus élevés, d’acidités plus basses et des styles redessinés, sous la contrainte d’étés plus chauds et d’une variabilité interannuelle plus forte.

Aléas et maladies

Le « nouveau normal » mélange canicules, gel tardif, grêle, et années très humides propices au mildiou. Les séries 2023–2024 ont montré l’ampleur possible des dégâts en Europe ; à l’horizon 2030, l’enjeu est d’abaisser l’exposition (filets anti-grêle, pilotage fin de la canopée, agroéquipements) et de mieux anticiper grâce aux réseaux de capteurs et aux modèles micro-climatiques (projets européens type LIFE-ADVICLIM, site pilote à Bordeaux).

Cépages : une palette qui s’élargit

L’ouverture encadrée à des variétés d’intérêt à fin d’adaptation. Depuis 2021, six cépages (rouges : arinarnoa, castets, marselan, touriga nacional ; blancs : alvarinho, liliorila) sont autorisés à titre expérimental dans les AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur, avec des plafonds stricts (jusqu’à 5 % de la surface AOC et 10 % de l’assemblage final). Des textes récents actualisent et précisent la liste et les règles, confirmant la trajectoire d’ici 2030 : élargir prudemment la palette pour gagner en résistance à la chaleur et au stress hydrique tout en respectant l’identité des appellations.

Pratiques culturales : ajuster sans renier

La boîte à outils bordelaise s’étoffe : taille retardée, canopée plus ombrageante (effeuillage limité côté soleil), port-greffes plus tardifs et résistants, densité de plantation ajustée, récoltes nocturnes et repenser l’implantation des parcelles. Ces adaptations fines, déjà en cours, constituent la première ligne de défense avant des investissements plus lourds (irrigation sous dérogation, protection physique).

Cap carbone et compétitivité

Côté atténuation, l’interprofession bordelaise s’est dotée d’objectifs chiffrés : -54 % d’émissions de GES d’ici 2030 (vs 2007), avec des leviers identifiés (verre/emballages, carburants, fret, énergie). L’enjeu est autant climatique que concurrentiel : tenir le cap bas carbone tout en sécurisant la qualité et les volumes.

2030 en quatre scénarios plausibles (Bordeaux)

  1. Chaud & sec modéré : vendanges précoces, alcool en hausse maîtrisée via cépages d’adaptation et conduite de canopée ; styles légèrement plus mûrs mais équilibrés.
  2. Année humide à épisodes extrêmes : pression mildiou élevée, rendements volatils ; besoin d’outils de détection précoce et de fenêtres d’intervention optimisées.
  3. Gel printanier après débourrement précoce : pertes localisées, sécurisées par la taille retardée et les dispositifs anti-gel ; montée en puissance des cépages plus tardifs.
  4. Variabilité forte intra-décennale : successions 1 année chaude/1 année humide ; importance du pilotage de l’assemblage et de la flexibilité cépage-parcelle.

Enjeu central : s’adapter sans perdre son âme

D’ici 2030, l’équation est claire : maintenir la signature bordelaise (équilibre, fraîcheur, complexité) en combinant micro-ajustements culturaux, évolutions parcimonieuses de l’encépagement et gouvernance carbone. Les essais variétaux privés (ex. La Tour Carnet) montrent que d’autres cépages peuvent garder « l’esprit » bordelais sous climat plus chaud, mais l’adoption se fera par étapes et sous contrôle collectif.

Méthodo & sources clés

ODISVITI ; INRAE/LACCAVE sur les impacts phénologiques et la chimie des vins ; OIV pour la conjoncture et les signaux climatiques ; textes INAO/CIVB sur les cépages d’adaptation et les plafonds ; programmes européens (LIFE-ADVICLIM) pour l’outillage d’aide à la décision ; dossiers pro (Vitisphere, Agra Presse) sur la stratégie 2030 de la filière etc…

OdisViti ©

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